Auteur : Sorj
Chalandon
Edition : Le
Livre de Poche
Date de sortie :
2013
Pages : 327
Prix : 7.10€
« Une
lecture bouleversante… »
Quatrième de couverture :
L’idée de
Samuel était belle et folle : monter l’Antigone de Jean Anouilh à
Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils
ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une
scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé. Samuel était grec.
Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m’a demandé de participer
à cette trêve poétique. Il me l’a fait promettre, à moi, le petit théâtreux de
patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982,
main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m’offre brutalement la sienne…
Mon avis :
L’idée de ce
roman est de mettre en corrélation deux thématiques : d’une part celle de la guerre, d’autre part celle du théâtre. Il est important de noter que
la thématique du théâtre est au service
de celle de la guerre, elle sert en
quelque sorte de décor. La guerre évoquée ici est la Guerre Civile du Liban, année 1982
dans le roman.
Ce qui est
beau dans cette fiction, c’est la volonté de réunir sur une scène des adversaires de guerre, de leur faire voir
en l’autre un acteur et non un ennemi, afin de faire place à la poésie théâtrale. Une personne de
chaque camp, interprétant, un personnage de la pièce Antigone de Jean Anouilh.
« Antigone
était palestinienne et sunnite. Hémon son fiancé, un Druze du Chouf. Créon, roi
de Thèbes et père d’Hémon, un maronite de Gemmayzé. Les trois chiites avaient
d’abord refusé de jouer les « Gardes », personnages qu’ils trouvaient
insignifiants. Pour équilibrer, l’un deux est aussi devenu le page de Créon,
l’autre avait accepté d’être « Le Messager ». Au metteur en scène de
se débrouiller. Une vieille chiite avait aussi été choisie pour la reine
Eurydice, femme de Créon. « La Nourrice » était une Chaldéenne et
Ismène, sœur d’Antigone, catholique arménienne. »
La question que l’on pourrait se poser, c’est : Pourquoi ? Oui, c’est vrai ce n’est
pas avec une simple pièce de théâtre que l’on va arrêter la guerre ; Sorj
Chalandon le dit lui-même. Alors pourquoi ? Pour une trêve de deux heures. Pour que chacun baisse un instant son fusil,
et que la paix règne quelques minutes…
« La
guerre était folie ? Sam disait que la paix devait l’être aussi. Il
fallait justement proposer l’inconcevable. Monter Antigone sur une ligne de feu
allait prendre les combats de court. Ce serait tellement beau que les fusils se
baisseraient.
- Pour une
heure, a ricané Aurore.
Elle était
assise. Je me suis accroupi entre ses genoux.
- Une heure
de paix ? Et tu voudrais que nous rations ça ? »
Samuel est celui qui le premier entreprend de monter Antigone à
Beyrouth, rempli d’espoir et de naïveté. La maladie l’empêchant de mener à bien
son projet c’est Georges, un ami à lui, le narrateur, qui va prendre sa suite.
En nous
faisant suivre le personnage de Georges, l’auteur aborde des points essentiels
sur le thème de la guerre. Dans un premier temps l’absurdité de cette guerre, chaque camp veut vivre en paix mais
chacun est acteur de ce conflit.
« C’est
le Liban qui tire sur le Liban. »
On pourrait
penser que l’auteur traite d’un sujet qu’il ne maîtrise pas, or c’est faux.
Sorj Chalandon a été pendant plus de 20 reporter guerre, a vu la guerre au
Liban et en a été profondément marqué, ressentant le besoin de l’exprimer dans ce livre. Il disait dans
une interview, en parlant du métier de journaliste (car il a rencontré cette
guerre en tant que tel) : « Notre
rôle à nous c’est de cueillir les larmes des autres et pas de laisser couler
les siennes ».
Dans le
roman, Georges, est le double de l’auteur, c’est Sorj Chalandon qui le dit
lui-même. Si on connait un peu l’auteur on découvre d’ailleurs beaucoup de
similitude entre le personnage de Georges et l’auteur. Au travers de Georges,
S.J. apporte une thèse essentielle : on ne peut pas affirmer connaître la
guerre tant qu’on ne l’a pas rencontré,
tant qu’on ne s’est pas confronté à elle.
C’est une erreur que commet Georges. Parce qu’il a participé à une ou deux
bagarre, au coin de sa rue, il croit savoir ce qu’est la guerre, mais il
apprendra de ses erreurs. Un dialogue entre Georges et une libanaise souligne
bien ce point :
« -
Je sais ce qui s’est passé à Damour
-Non. Ne
dites pas ça. Vous ne savez pas. Personne ne sait ce qu’est un massacre. On ne
raconte que le sang des morts, jamais le rire des assassins. On ne voit pas
leurs yeux au moment de tuer. On ne les entend pas chanter victoire sur le
chemin du retour. On ne parle pas de leurs femmes, qui brandissent leurs
chemises sanglantes de terrasse en terrasse comme autant de drapeaux. »
Si vous avez lu Antigone (de Jean Anouilh ou de Sophocle) vous pourrez établir des
rapports intéressants entre la pièce tragique et la tragédie libanaise… Mais je
vous laisse découvrir cela, afin que vous puissiez établir les analogies vous-mêmes,
il y a des pistes de réflexions très pertinentes à creuser de ce côté-là. Qui
est vraiment Antigone dans le roman ? Uniquement l’actrice à laquelle a
été attribué le rôle? Beaucoup d’éléments laissent le lecteur libre d’établir
sa propre interprétation.
Je vous
conseille vraiment de lire ce livre,
il m’a profondément remué. Moi qui
d’ordinaire ne pleure jamais en lisant, quelques larmes ont bien failli s’échapper
de mes yeux (cela aurait été le cas lors de certains passages si je n’étais pas
en train de bouquiner dans un espace
public). Car oui, ce livre montre la cruauté
de la guerre dans tout ce qu’elle a d’ignoble. J’étais indignée, je me suis
mise à trembler, sous le coup de l’émotion. J’étais révoltée, devant le meurtre d’innocents, qui ne demandaient qu’à
vivre.
Il y a tant
de choses que j’aimerais encore pouvoir dire sur cette magnifique histoire,
mais je vais m’arrêter de peur d’être trop longue. J’espère que vous lirez
cette histoire à la fois belle et
cruelle. La lecture n’est pas difficile on tourne les pages les unes après
les autres aisément. Je terminerais simplement sur cette phrase de
Samuel :
« La
violence est une faiblesse. »
Que lire sur ces thèmes-là ?
- pièce de théâtre: Antigone de Jean
Anouilh et/ou de Sophocle
- un livre inspiré d’Antigone :
Le clan suspendu Etienne Guéreau (des
personnages qui vivent dans les arbres et qui répètent sans cesse Antigone)
- sur les conflits Israël/Palestine : Si tu veux être mon amie de Galit Fink
et Mervet Akram Sha’ban (une palestienne
et une israélienne qui s’écrivent en temps de conflit).
Ce livre est un vrai chef d'oeuvre!
RépondreSupprimerJe suis tout a fait d'accord avec toi! Ca me donne vraiment envie de découvrir d'autres livres de cet auteur!!
RépondreSupprimerWow *.*
RépondreSupprimerC'est dingue la sincérité que tu as mis dans cette chronique, on sent vraiment que le livre t'a bouleversé !
Je retenterai l'auteur avec ce texte alors ;) C'est idiot de rester sur une mauvaise impression ! Mais je n'ai lu ni Anouilh ni Sophocle, j'avoue ne pas connaître du tout Antigone, j'espère que ça ne "gênera" pas ma lecture O.O
Bisous !
Coucou
Supprimeroui, ce bouquin a ému mon petit cœur ;)
Je pense que ça ne gêne pas à la lecture de ne pas avoir lu Antigone. Après, il peut être bon de savoir les grandes lignes du mythe (bonjour Wikipédia), comme il peut être bon de plonger dans l'histoire sans rien connaître à toi de voir :)
Bisous :)